Conclusion

conclusion #

Une évolution de l'écriture (et de la sémantique d’écriture) par les mutations de support et de l’outil #

L’écriture (qu’on entend par l’ensemble des pratiques la constituant et non pas par sa qualité purement textuelle) a subi une forte évolution au cours de l’Histoire, cette évolution est, notamment liée à son support et a donc évolué en symbiose avec celui-ci. Le remplacement du papyrus par le papier a nommément permis l’élaboration de supports plus imposants et organisés changeant dans un premier temps le rapport à la textualité (autant dans l’écriture que la lecture) comme le Volumen entre autres. Chaque innovation portait des défauts amenant à d’autres logiques matérielles du support rendant le support précédent obsolète, le volumen lui à titre d’illustration devait être déroulé et enroulé rendant la manipulation compliquée. Le codex est ce qui se rapproche le plus du livre dans l’histoire du support imprimé, compilant les pages, permettant de ranger l’ouvrage, et de l’annoter donc par extension de s’en emparer.

L’outil d’écriture a aussi amené à une évolution de l’écriture, que ce soit dans sa plasticité ou dans sa réplication. En effet, l’avènement de l'imprimerie en 1454, a permis une diffusion à grande échelle des savoirs et ouvrages. Il a aussi permis une nouvelle forme d’organisation autour du livre en convoquant une multitude de corps de métiers différents réalisant des tâches distinctes pour une finalité commune : celle du livre. Le livre avait donc déjà subi une première fois une révolution majeure dans la question de sa diffusion. Il allait le subir une seconde fois dans la deuxième moitié du XXe siècle avec l’arrivée de l’outil informatique et des débuts d’Internet. D’abord timidement dans la question de la diffusion, mais déjà innovant dans l’environnement dans lequel il est produit. Nous avons montré que les supports informatiques sont des dispositifs techniques utilisés pour l'écriture et la lecture. Il convient de noter que, pour la première fois de son histoire, l'humanité a utilisé des outils d'écriture écrits/lisibles pour lire et écrire. Tout en amenant une nouvelle couche sémantique (balises, métadonnées…) dans la structure d’écriture mais surtout dans le stockage de l’écriture. Ces mêmes outils d’écriture permettant de nouvelles fonctions (copier-coller-couper, ajouter-supprimer-remplacer…) changeant encore plus notre rapport à la textualité et à sa construction. Toutes ces pratiques parlent de notre époque post-internet, une époque riche pour l'écriture.

Les designers, artistes et chercheurs jouent un rôle important dans l’élaboration de ces nouveaux outils. Il s’agit souvent d’initiatives individuelles ou collectives d’un groupuscule de personnes intéressées par des besoins spécifiques liés par exemple à une absence de fonction donnée dans un logiciel ou par une manipulation trop compliquée et chronophage de cette fonction par les logiciels préexistants (majoritairement fermés et propriétaires). Ces acteurs par leur initiative auto motivée et personnelle sur la question de l’outil permettent une reconfiguration au fondement même de la question du logiciel libre et à l’émulsion de nouvelles pratiques d’écriture.

Une évolution de la publication numérique par le développement d’Internet #

Le développement d’Internet a permis une redéfinition totale de nos pratiques d’écriture et de nos méthodes de publication. Internet, conçu comme un gigantesque entrelacs de signes en mouvement, se présente comme un espace multicouche où tous les types de langages (sémantiques, logiciels, iconiques, sonores...) ― chacun réduit à une unité informationnelle identique ― sont vaporisés,altérés, dissipés. Internet a rendu ce flux de contenus et d’informations consultable en tout temps et en tout point, faisant passer le bagage culturel intime de l’individu à une bibliothèque mutualisant en temps réel tous les contenus et archives disponibles où tout un chacun peut piocher ou même éditer ce dit contenu. Amenant une question sur la perception de l’originalité au 21è siècle, une époque où la technologie nous force à réévaluer ce qui est original ou pas de par l’accessibilité des contenus et leur redistribution (copier-coller-diffuser). Les wikis porté par l’impulsion originelle de Micheal Hart avec le Projet Gutenberg ont poussé ces capacités de partage à leur paroxysme en permettant à chaque utilisateur d’être à la fois lecteur, contributeur ou fact-checker. Démocratisant l’accès à l’information, l’esprit critique et la pluralité d’opinions.

Ce Web 4.0 prônant, entre autres un changement d’architecture avec l’émergence du « Cloud » et l’ouverture des standards (Open-source). L’utilisateur malgré une possibilité de personnaliser se voit souvent contraint à une personnalisation systématique de l’interface et des fonctions de façon générative par l’analyse à partir des données récupérées. Internet est orienté sur l’interaction individus|objets tentant de faciliter l’usage et l'efficacité de l’objet avec la bonne action au bon moment.

Les débuts de la culture du Hacking, qui tentait déjà une altération créative visant à améliorer le fonctionnement du système actuel. Il a pris aujourd’hui un virage moins marginal à l’ère des GAFAM menaçant de plus en plus nos libertés et notre sécurité dans le Web 4.0.

Ces individus héritants de la culture du Hacking des années 50 n’hésitent pas à mettre la main au code afin de permettre des solutions open source, open access amenant à des logiciels ou contenus librement consultables, modifiables et partageables (Creative Commons BY). Faire cela c’est permettre une prolifération de création aussi variée et innovante que possible. L’ère du post-internet offre donc des nouveaux modèles expérimentés par des ateliers, des startups, des maisons d’éditions libres et d’autres acteurs. Ces modèles tentent de changer les chaînes de création et distribution les rendant plus floues et hybrides dans leurs co-influences. Parfois elles en sont même unies. Rendant chaque acteurs à la fois interchangeables dans leur période d'action mais aussi bien présents tout au long de la chaîne.

On observe actuellement une réelle volonté d’interroger les processus de création visuelle dans une nouvelle logique de travail et de publication. Les designers et chercheurs ont créé des scripts et outils de création/publication invitant à saisir l'épaisseur culturelle des formats, interfaces et usages. Permettre des publications hybrides interrogeant dans le spectre de publication, son retentissement dans différents champs d’actions, et modifiant notre relation au livre (à son prix, sa forme, sa place), à l’information et à sa forme qu’elle peut prendre.

En bref, des acteurs créent des outils précis et accessibles liés à des besoins spécifiques, ces mêmes outils seront repris, augmentés, détournés de leurs fonctions initiales afin de répondre à d’autres fonctions, ainsi avance la création et la réflexion sur nos outils.

Qu’est ce qu’on en fait ? #

Je vais ici développer un raisonnement plus personnel. Nous n’allons pas encore suffisamment loin. Ces pratiques sont encore trop minoritaires et souvent d’impulsion individuelle. Si les éditeurs traditionnels veulent continuer d’assurer leur rôle et de le légitimer dans la production, la légalisation et la distribution de contenu, ils doivent répondre à ces questions à leur tour — certains ont bien évidemment déjà commencé à le faire. Ce qu'il faut retenir de cette réflexion, c'est que l'« édition » ne se réduit plus à un format imprimé et diffusé sur papier : il s'agit aussi de la structure et du format de distribution des informations, et le format numérique a ses propres caractéristiques, notamment liées aux métadonnées. Essayer d'imiter le papier en réalisant des versions remédiées de celui-ci ne suffit pas, il faut aussi essayer de comprendre comment l'information est arrangée, structurée et diffusée dans un environnement numérique. De cet effort, il est nécessaire de questionner les compétences du métier d’éditeur et de sa chaîne. Depuis les années 2000 avec l’évolution des logiciels de traitement de texte, de mise en page et Internet, les acteurs de l’édition ont ainsi appris à mobiliser de nouvelles compétences qui ne faisaient pas parties de leurs pratiques traditionnelles. Il s’agit donc de continuer à mobiliser de nouvelles compétences dans un environnement plus numérique ou la production de savoirs et de données n’est encore tenue que majoritairement par les GAFAM.

Il en va de même pour le designer, ne serait-ce que quittant partiellement les logiciels d’Adobe et en pensant à d’autres solutions plus libres ou juste parfois plus adéquates en produisant soi-même ses propres outils. Pour cela, il faut mettre les mains dans le code et les langages du web — technologies libres, open source et collaboratives. Détourner les usages des outils et expérimenter davantage avec celui-ci.

Il s’agit aussi de critiquer les travaux et expérimentations sorties dans les laboratoires et universités. Non pas dans leurs teneurs réflexives et pratiques mais dans leurs teneurs esthétiques et graphiques qui donnent une deuxième couche sémantique dans un projet. Le graphisme est porteur de sens, de sensibilité. Les chercheurs remplissent cette teneur graphique et donc communicante de leur projet par défaut. le rôle du designer se situe ici, si le designer s'intéresse davantage à ce qui est produit dans ces milieux, ils pourraient interroger ces outils, ces productions, s’en servir, les modifier, les améliorer et de ce fait les démocratiser à la fois dans son secteur d’activités mais aussi dans une sphère plus large et plus publique. Produisant de nouvelles formes éditoriales que ce soit dans l’imprimé ou le numérique, car nous avons tous a y gagner dans cette impulsion créative que ce soit les créateurs, les agenceurs ou les lecteurs de contenus numériques (et non-numériques ).